Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les rois du pétrole
29 août 2008

Une question de soutanes

Encore une courte citation d'un livre de Francisco González Ledesma (références à la fin)

Premier chapitre, première grosse poilade, donc j'en fais profiter les passants qui flânent ici sans s'attarder.

Dans le texte original il y a quelques bouts d'anglais, ils sont imprimés en italiques.

 

Une question de soutanes

- Vous vous rendez compte Milady ? s'écria Mme Robles, qui à soixante-quinze-ans apprenait l'anglais, non mais vous vous rendez compte, my teacher ? Vous qui êtes à Madrid depuis peu, qu'allez-vous donc penser de cette fichue ville ?

Figurez-vous qu'en ce moment même, de l'autre côté de la place... vous ne voyez pas ?

Vous n'avez pas l'impression que ce monsieur respectable là-bas, un gentleman of course, eh bien... vous n'avez pas l'impression qu'il est mort ? Vous ne trouvez pas qu'il a une posture un peu bizarre pour quelqu'un qui prend le soleil ?

Speak english, only english, murmura patiemment la jeune étudiante de l'université de Madrid, qui donnait des cours d'anglais aux retraités et avait constaté que les élèves du sexe masculin cherchaient plus à lui toucher le cul d'un air paternel qu'à apprendre la langue de Shakespeare. Only english, if you want to learn quickly. Que voulez-vous dire ?

— Celui-là, juste en face de nous, my baby, vous ne le voyez pas ? See you just in front, please.

D'après moi, ce monsieur vient de passer l'arme à gauche. Il est dead. Il ne bouge pas : he is very quite, un peu trop quiet à mon goût.

Et ça fait au moins cinq minutes qu'il est dans cet état, je l'ai bien regardé. Son chapeau masque son visage, mais sa tête est affaissée, the head is underground, si le terme est correct, lady my teacher, vous voyez, you voyez bien !

Et il y a autre chose qui m'intrigue, vous n'avez peut-être pas remarqué, mais moi, si.

Vous savez qui l'a installé sur ce banc ? Deux jeunes putes, figurez-vous. De manière on ne peut plus délicate, certes, comme pour faire croire qu'il était encore en vie, n'empêche que c'étaient quand même des putes.

Only english, répéta avec douceur la très jeune fille, qui espérait bientôt être payée.

— Vous avez raison : c'était deux foqui-foqui girls.

— Oh, mais que dites-vous là ?

— J'en suis sûre, j'ai tout vu. I see it with the eyes of me, lady teacher.

Et puis... oh mais comme c'est bizarre ! Regardez ! Do you mean ? Vous ne voyez pas les deux curés qui sont en train d'enlever le corps ? Ils ne sont pas très discrets. Bon Dieu que c'est reposant de parler sa langue !

Moi, vous savez, les morts, je ne prie pas pour eux en anglais. Ils l'emportent comme s'il était ivre ou sidéen en phase terminale, et personne ne moufte !

Mon enfant, vous qui n'êtes pas ici depuis longtemps, j'ignore ce que vous allez penser de cette ville putassière où tout le monde a le feu aux fesses et tapine à la première occasion. Vous ne comprenez pas ?

Et si je vous parle de body business, ça va mieux ?

Évidemment comme ils sont en soutane, personne ne va rien leur dire. Quelle solennité ! On dirait des doyens de Tolède. J'y ai passé ma lune de miel,moi, à Tolède, mais en ce temps-là, les curés étaient plus pieux et gros comme des femmes enceintes !

Ah, ils ont fini par le glisser dans cette belle voiture. Dieu sait ce qu'ils vont bien pouvoir en faire. Ils sont tout de même culottés de s'habiller en curés à l'ancienne, les seuls vrais, ceux qui poussaient leurs chants liturgiques après les repas... mon défunt mari, lui, appelait ça des chants gastriques.

Si encore ils s'étaient déguisés comme il faut... je ne sais pas, moi... en contrôleurs de la R.A.T.P. On voit bien qu'ils n'ont pas de street wardrobe. Moi je pense qu'ils auraient pu éviter de s'attifer en clergyman. C'est scandaleux ! »

Francisco González Ledesma
« Le péché ou quelque chose d'approchant »
Série noire - Gallimard

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Newsletter
Les rois du pétrole
Publicité