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Les rois du pétrole
5 octobre 2008

A une amie qui est partie

Salut T*** !

Tu sais quoi ?

J'ai une sale manie,

Quand je réponds à UN courrier, je démarre plusieurs réponses à la fois, genre

« Tiens ! Si je parlais de ça ? »

ou

« Oh ! Super ! Il m'est arrivé un truc incroyable aujourd'hui ! Je vais vite le raconter ! »

ou encore

« ... »,

puis je laisse tout en plan et je reviens plus tard voir ce que ça donne.

Parfois « plus tard » c'est vraiment beaucoup plus tard, des jours voire des semaines plus tard, du coup mes correspondants se retrouvent sans réponse et croient que je les ai oubliés,

Et moi je me retrouve avec plein d'ébauches sans queue ni tête, c'est à dire sans aucun fil conducteur,

Et je me creuse les méninges pour essayer d'assembler les morceaux, obtenir un ensemble cohérent tout en me maudissant parce que à mon âge je suis toujours incapable de discipline pour m'éviter du boulot inutile.

( normalement, dans tout texte narratif, il n'y a pas de « Ça », de « truc » ou de « ... » mais des traits d'esprit, des anecdotes ou des longues réflexions sur l'état de la France et les diverses solutions, trouvées en équipe au brainstorming du troquet PMU — parce que le troquet PMU c'est plus reposant que le blog de Marcel Gauchet — pour sortir le pays de sa situation peu reluisante tant il est vrai que maintenant qu'on a un petit leader volontariste qui bouge dans tous les sens on ne peut plus se contenter de râler « ki fo fer kek chose » tout en jetant des blâmes aux élus, mais bien mettre la main à la pâte car chacun est concerné, rompez les rangs.

Mais dans tout texte narratif il y a aussi un empêchement, une épreuve, une difficulté à surmonter. Et dans ma vraie vie, il y a quoi comme empêchement pour terminer un courrier ?

Il n'y a rien !

Juste Ciel ! Comment un néant peut-il nous fracasser à ce point ? )


Tiens ! Je pourrais te parler de mon père, qui vient de me téléphoner pour la quatrième fois ce matin sur mon portable, et qui n'entend pas ce que je lui dis car :

  • je lui répondais du sous-sol de la maison, c'est pas top pour le réseau, d'où des coupures, d'où les quatre appels,
  • de toutes façons il est sourd,
  • de toutes façons ce sont toujours les cinq mêmes questions, les cinq mêmes réponses. Après j'ai la paix pour un mois.
  • de toutes façons il n'admet pas qu'il est sourd,

J'ai quand même été prudent et ce n'est qu'après qu'il ait raccroché que je lui ai lancé un « Va donc t'acheter un son d'automne, connard ! ».

Mais bon, tu ne connais pas mon père, c'est donc forcément moins drôle que si je racontais ça à mon frère, son autre fils, et l'insulte finale peut paraître disproportionnée.

( Car elle l'est, mais dans l'autre sens évidemment )


Je pourrais aussi te parler du livre de David Lodge que je viens de terminer

Un tout petit monde », fini tard hier soir et qui m'a laissé mort de rire, mais ne nous égarons pas. Discipline ! Discipline !)

Comme à chaque fois que je lis un livre j'ai envie d'annoter des passages pour les retrouver plus tard.

Évidemment je ne suis pas un sagouin et je ne vais pas repérer les pages au crayon ou au stylo mais juste poser des marque-ta-page en papier.

Or les marque-ta-page faut les préparer d'avance : quoi de plus bête que d'interrompre une lecture passionnante pour courir en quête de papier ? Tout le monde s'y prendrait à l'avance, non ?

Tout le monde sauf moi.

Je sais qu'à chaque fois que je lis un livre, j'ai envie de marquer des passages, je sais que préparer des marque-ta-page ça ne demande même pas 30 secondes et quelques coups de ciseaux dans une feuille de brouillon

(et Dieu sait si, en tant qu'analyste-programmeur, j'en ai des feuilles de brouillon ! C'est le dégât collatéral de notre profession.

En fait, le « zéro papier » n'est qu'un argument commercial pour les fashion-victim névrosés par la gestion efficace avec rien qui dépasse.

Nous autres analystes-programmeurs nous ne sommes pas cons, nous savons bien que rien ne remplace le papier, la gomme et le crayon.

Du coup on produit du brouillon à tire-larigot )

Eh bien crois-tu qu'avant de me mettre à la lecture d'un nouveau livre je taillerais en pièces une ou deux feuilles de brouillon ?

Même pas !

(Probablement parce que, en tant qu'analyste-programmeur, je trouve que faire quelque chose sans clavier, souris, multi-fenêtres et capuccino Maxwell crémeux à portée de lèvres dans un mug typé, eh bien c'est déroger ! )

Alors du coup, maintenant que j'en suis arrivé à la page 180 ( je le sais parce qu'à la page 180 j'ai mis le marque-ta-page gracieusement fourni par la bibliothèque municipale ), je vais devoir me taper le livre à rebours pour retrouver les quatre passages que je voulais mettre de côté...

C'est un petit Lodge finalement, seulement quatre passages à relever sur 180 pages ? Je n'aurai pas eu ce souci avec Crébillon et les « Lettres de la Marquise de M*** » puisque là c'est le bouquin entier que j'ai envie de citer.







Ah ben voilà !

J'ai tenté de fusionner deux ébauches de réponse en une seule, je me suis perdu dans des considérations aussi pragmatiques qu'inintéressantes, je me suis payé une incohérence chronologique et je ne sais plus ce que je voulais écrire dans ce courrier...

( Une fois que t'aura donné tes coups de ciseaux, petit roi du pétrole, penses à faire un plan de ce que tu vas écrire, tu le fais pour tes logiciels, pourquoi tu ne le ferais pas pour tes correspondants ? Ils ne méritent pas d'être mieux traités que tes clients ? )


Bon, ben je vais me rabattre sur Lodge, entre fins lettrés ça peut nous occuper.


Réflexion faite je ne vais pas me rabattre sur Lodge.


Enfin si ! Je vais me rabattre sur Lodge pour le lire, mais je ferai mes marque-ta-page avant.




C'est passionant ! Un coup j'ai lu Lodge, un coup je suis en train de le lire... Quelle cohérence...

Si j'étais un des personnages du livre, je profiterais du colloque de Jérusalem pour faire une communication : « Les soubresauts narratifs du courrier dominical ».

Ça ne vaudrait certes pas « Lisibilité et fiabilité dans le roman épistolaire anglais, français et allemand »,

ou

« Problèmes de distorsions culturelles : la traduction des exclamations dans les œuvres de Cortazar, Sender, Baudelaire et Flaubert »,

mais je crois que ça pourrait le faire.





Tu as quitté N*** et je te comprends...

Il y a eu des grèves, et il y a eu un mini-festival sur les « salauds de privilégiés » et autres « on est pris en otage par des gens qui n'ont qu'un bouton à pousser pour faire avancer la loco et qui partent à la retraite avec leur pénibilité ! »

( je te le fais court le florilège, tu as quitté ces gens-là, doser un sevrage est délicat )

C'est ça qui est chouette dans les grèves : ça cristallise les cons autour de leurs égos telle la buée qui se condense sur une vitre froide. C'est pratique, ça va plus vite pour sélectionner ses relations, à nos âges on n'a plus de temps à perdre avec les imbéciles.

(Ceci étant, je suis quand même bien content d'habiter une ville où on peut raisonnablement espérer atteindre son boulot en vélo, sauf si on a décidé de vivre très au vert, bien sûr)


Je ne reste sur N*** que parce qu'il y a un F*** qui en sort parfois de bien bonnes quand il s'adresse à cette nuée d'imbéciles dépourvus de cervelle qui squattent N*** uniquement parce que :

  • C'est coloré, on peut changer l'aspect de sa page perso dis-donc !
  • Oh ! T'as vu ? Le copier-coller ça marche aussi ! Ça tombe bien je viens de lire des blogs sur le « Progesterex », sur « la pédophilie sur mineure âgée de 16 ans » et sur « la désolation des fleurs offertes à une femme en vain ».

    (non non, il ne manque pas de « g » à vain)
  • On peut avoir une liste d'amis longue comme une AG d'entreprise cotée en Bourse

    (Ah les cons ! Ils auront beau faire, ils ne seront jamais que des petits-porteurs)


Mais c'est très déprimant.

Je pourrais même ajouter que ce n'est vraiment pas ce qu'il me faut en ce moment mais dire cela obligerait à expliquer pourquoi.

Or, même si les gens de gôche comme toi sont caricaturés comme n'étant prédisposés qu'à l'écoute passive, ce n'est pas une raison pour abuser d'eux.





J'aurais pu venir aux nouvelles ?

Cela t'aurais motivé pour écrire ?

Le brainstorming du troquet PMU me souffle deux réponses :

- Eh toi-même !

- C'est celui qui dit qui y est !

(Et toc !)







Ma fille (5 ans) me souffle de quoi insérer une anecdote dans ce contexte narratif qui ne ressemble plus à rien :

- Papa ! Tu pourrais me donner trois chewing-gums ?

- Euh... Oui...

- Ah chouette ! Mais il faudra trouver une cachette...

- C'est pour l'école ?

- Oui.

- Et vous n'avez pas le droit de manger du chewing-gum à l'école ?

- Non, c'est pour ça qu'il faut trouver une cachette !

- Mais alors... C'est une bêtise que vous allez faire ?

- Oui (ravie) ! Mais il ne faut pas le dire que c'est une bêtise !





Bien, bien, bien...

C'est l'heure...

Bon appétit !


A+ !

Petit roi du pétrole



Notes de bas de page :

  1. Je ne suis pas analyste-programmeur, la présence de ce métier est une pure « licence narrative », mais je plains quand même celles et ceux qui font ce boulot pour vivre.
  2. Toute similitude avec des évenements, des personnes ou des sites web existants est purement fortuite, involontaire, et patati, et patata.


Bibliographie :

« Un tout petit monde », David Lodge, 1984. Editions Rivages 1991.


Rompez les rangs.

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